L’accès à une cuisine de qualité pour tous

Isabelle Buesser-Waser – 06 décembre 2023
Avec le restaurant Refettorio à Genève, Walter El Nagar souhaite que les ­personnes en situation de précarité puissent accéder à une gastronomie de qualité. Son projet «Guest chef series» permet à d’autres chefs reconnus de faire découvrir leur cuisine aux plus démunis.

«La philosophie de Walter El Nagar et du Refettorio me plaît beaucoup. Et après avoir fait du bénévolat avec lui pendant le Covid, cette collaboration était une évidence», raconte Konstantinos Kamperis, qui a cuisiné au Refettorio le 28 novembre à l’occasion de la Journée de la Méditerranée. Cet événement s’inscrivait dans le cadre des «Guest chef series» organisés par l’établissement et la Mater Fondazione, qui chapeaute le tout. Après le Français Pascal Barbot et Philippe Chevrier, c’était au tour du chef d’origine grecque d’investir les cuisines bénévolement afin de livrer un menu à 120 francs pour le grand public à midi, puis de réitérer avec les mêmes plats – gratuits – le soir. En effet, le restaurant genevois fonctionne comme n’importe quel autre établissement pour le repas de midi. Mais pour le souper, il est réservé aux personnes en situation de précarité – et aux étudiants tous les lundis – qui peuvent venir déguster le même menu gratuitement.

Le nerf de la guerre: trouver des fonds

Alors qu’en temps normal le menu est à 39 francs, lors des «Guest chef series», les convives peuvent déguster un repas d’exception pour 120 francs. «Nous avons lancé ce concept afin de lever des fonds», raconte Walter El Nagar, qui a ouvert le Refettorio début 2022. «Nous finançons les repas du soir grâce à deux piliers: 50% proviennent des recettes du service de midi est 50% de fondations privées. Les dîners de gala avec des chefs invités nous permettent d’augmenter les bénéfices sensiblement.» Dans l’idéal, le chef italien d’origine égyptienne aimerait que le restaurant fonctionne de manière complètement autonome, toutefois il reste réaliste: «Actuellement il est déjà très difficile de tourner pour un établissement classique, alors pour un restaurant qui offre à manger gratuitement le soir ... C’est d’ailleurs plus compliqué durant cette fin d’année, même si nous tournons très bien depuis deux ans.» Walter El Nagar travaille comme tous les acteurs de la branche: il se fournit le plus localement possible avec des produits frais et de qualité, qu’il paie au même tarif que ses collègues. Parfois, il bénéficie de dons, mais ce n’est pas la norme. Quant à son personnel, il est majoritairement composé d’employés salariés. «Mon équipe est constituée d’un mélange entre salariés et bénévoles, mais j’ai réduit la part de volontaires. En effet, lorsqu’elles ne sont pas payées, certaines personnes manquent de fiabilité et m’annoncent au dernier moment qu’elles ne pourront pas être présentes. Cela peut devenir très problématique. Même si certains bénévoles sont extrêmement fiables et disponibles!»

Le sens: un argument de recrutement?

Lorsqu’on lui parle de recrutement, le patron du Refettorio indique souffrir de la pénurie de personnel, comme tout le monde. «Certaines personnes postulent en indiquant qu’elles veulent faire la différence, donner un sens à leur travail et aider les autres. Pour une partie de nos employés, cela se confirme: ils s’investissent et restent sur le long terme. Mais pour d’autres, il s’agit juste d’un concept abstrait et la réalité du travail les rattrape.»

Par ailleurs, pour certaines personnes, l’égalité de traitement entre tous nos clients n’est pas encore évidente. «On perçoit des sous-entendus, même au sein du personnel: il y a des gens qui pensent que si la qualité est moindre le soir, ce n’est pas grave, qu’il ne s’agit pas d’une clientèle qui mérite le même traitement que ceux qui paient. C’est un point sur lequel je dois régulièrement travailler en tant que manager», confie le fondateur du Refettorio. «Pourtant, tout le monde est capable d’apprécier les bonnes choses et les plats les plus appréciés sont les mêmes à midi et le soir!»

Genèse d’une gastronomie solidaire

Walter El Nagar est un humaniste qui considère que chaque personne, quelle que soit sa classe sociale ou son origine, a le droit d’accéder à une nourriture de qualité. C’est pourquoi il crée un collectif de chefs, la «Société anonyme cuisinier» il y a sept ans. «En 2018, nous avons réalisé que les plats qui étaient servis aux personnes en situation de précarité étaient de très mauvaise qualité. Nous avons donc lancé le restaurant le Cinquième Jour. Nous y servions les clients normalement du mardi au vendredi, et nous accueillions gratuitement les bénéficiaires de la Croix-Rouge genevoise ou de l’association Carrefour-Rue le samedi midi», raconte-t-il. C’est à cette époque que son chemin croise celui de Konstantinos Kamperis. Le chef grec travaille dans le même quartier, au restaurant Khora. Il participe à son action en lui livrant ses surplus. Aujourd’hui, alors qu’il s’apprête à ouvrir son propre restaurant méditerranéen, il est heureux de pouvoir faire goûter ses plats en primeur aux donateurs et bénéficiaires du Refettorio. «Après plusieurs années dans la restauration collective haut de gamme – ce qui m’a permis de profiter de mes enfants –, j’ai réalisé que le travail de chef dans un restaurant classique me manquait. J’ai donc décidé d’ouvrir Medusa. C’est génial de pouvoir faire découvrir mes plats aux clients du Refettorio!»