Randy Schaller mise sur un accueil à taille humaine

Caroline Goldschmid – 08 février 2024
Début octobre, Randy Schaller a ouvert Holy Monkey, le premier tiki bar de Lausanne. Après le clin d’œil à la prohibition avec le speakeasy Le Vestibule et les cocktails Elixir de Joie livrés à domicile, le mixologue vaudois continue à surprendre avec ses concepts originaux. Ce bosseur passionné nous parle de cette nouvelle aventure et des défis qu’il rencontre en tant que patron.

Randy Schaller (35 ans) a rejoint la branche récemment, en 2019. C’est par la musique qu’il est entré dans le monde du bar: il chante dans plusieurs groupes de metal depuis l’âge de 15 ans, dont le plus connu s’appelle Voice of Ruin. Les concerts et les festivals lui ont donné envie d’organiser lui-même des événements. Et qui dit festival, dit bar. Il a donc commencé à s’intéresser à ce milieu assez jeune, d’autant qu’il a toujours aimé les cocktails. Jusqu’à l’âge de 30 ans, la musique était la priorité de Randy Schaller. Puis est arrivée l’envie d’effectuer un travail qui lui procurerait autant de passion que la musique et le motiverait à se lever tôt le matin. C’est là que l’idée d’ouvrir un établissement a commencé à germer. Avec ses deux amis Olivier Sutter et Andrés Lizano, le projet est devenu concret en 2019. Ils avaient déjà imaginé le concept du speakeasy, ne restait plus qu’à trouver un local. Les trois amis et associés ont emménagé dans ce qui était connu à l’époque comme étant l’Eléphant Blanc, à la Cité. Un quartier auquel ils sont attachés: ils y ont passé de nombreuses soirées festives. Le Vestibule a été inauguré en février 2020, trois semaines avant le début de la pandémie. Le bar a résisté et fonctionne très bien aujourd’hui. En octobre 2023, Randy Schaller a ouvert le Holy Monkey, juste à côté du Vestibule. C’est par une après-midi pluvieuse de mi-janvier que GastroJournal a rencontré ce mixologue passionné. Une fois la porte du tiki bar franchie, l’ambiance tropicale fait de suite oublier la météo maussade. La magie de la déco opère et le voyage vers les îles peut commencer.

Pourquoi un tiki bar?
Randy Schaller: Je savais que la culture tiki existait: on apprend à faire ces cocktails durant la formation en mixologie. Moi je trouve ça cool – les boire et les faire – et j’ai commencé à m’intéresser à la culture tiki. Au bar Le Vestibule, on a lancé les soirées tiki et on a découvert que la plupart de nos clients ne connaissaient pas cette culture.

Justement, pour celles et ceux qui ne la connaissent pas, de quoi s’agit-il?
La culture tiki est un thème artistique et décoratif s’inspirant de la culture polynésienne né aux Etats-Unis à l’issue de la prohibition. Les cocktails tiki sont à base de rhum et de fruits tropicaux et se servent dans des contenants spécifiques, en verre ou en céramique, qui représentent un totem. A la base, les Américains ne buvaient pas de rhum, considéré à l’époque comme la boisson des pauvres. Pendant la prohibition, ils se rendaient dans les îles voisines pour pouvoir consommer de l’alcool et là-bas, le rhum était roi. Les Américains y ont pris goût et, quand le marché était de nouveau ouvert, les premiers bars tiki ont émergé.

La prohibition a donné naissance à la culture tiki. Pourrait-on dire que Le Vestibule a inspiré l’idée du Holy Monkey?
En effet, Le Vestibule se veut un clin d’œil à la prohibition avec le speakeasy et proposer des cocktails tiki au Holy Monkey faisait sens. Je voulais trouver quelque chose de différent. C’est désormais le premier bar tiki de Lausanne. Et le seul à ce jour!

Non seulement les deux bars ont un lien historique, mais ils se trouvent aussi l’un à côté de l’autre. Comment cela a-t-il été possible?
Dès le début de l’aventure du Vestibule, j’ai eu envie d’ouvrir un deuxième bar. Déjà parce que Le Vestibule est petit, mais aussi parce que j’aime bien m’occuper de la gestion; j’avais besoin d’un truc en plus. Il se trouve que les patrons du restaurant d’à côté, qui s’appelait Il Ghiotto, approchaient de la soixantaine et songeaient à remettre. J’ai beaucoup réfléchi et je suis arrivé à la conclusion que cela pouvait être une bonne idée d’avoir deux bars l’un à côté de l’autre, mais avec des univers totalement différents.

Ainsi, non seulement ils ne se cannibalisent pas, mais ils contribuent à animer la Cité ...
C’était l’idée. Ces dix dernières années, la Cité a perdu de sa superbe en termes d’ambiance nocturne. Cela coïncide avec le moment où le bar Le XIIIe Siècle a été privé de sa licence de boîte de nuit. Et le Holy Monkey arrange aussi mes affaires: quand Le Vestibule est plein, on propose aux gens d’aller au Holy Monkey et cela permet de le faire connaître.

Quel est votre bilan, après plus de trois mois d’activité?
Je suis très content du démarrage. Je n’ai pas fait de publicité, je voulais que les gens s’approprient cet endroit et fassent marcher le bouche à oreille. C’est un pari risqué, certes, car tout le monde fait de la pub aujourd’hui pour promouvoir une ouverture. Mais je préférais que cela débute doucement afin de pouvoir réaliser des ajustements au fur et à mesure. Et si ça continue sur cette lancée, nous devrions atteindre les chiffres noirs dans les cinq ans, comme prévu.

Le tiki bar est venu s’ajouter aux deux autres sociétés, Le Vestibule et Elixir de Joie. Vous êtes bien occupé!
Je travaille trop (il rit)! Depuis septembre, je travaille à 150% et à long terme, il est clair que je ne peux pas continuer à tout gérer seul. Je voulais être présent pour assurer un bon démarrage. Maintenant j’arrive gentiment au bout du processus de lancement. Et j’ai désormais du renfort puisque j’ai engagé un barman au 1er février. J’aimerais bien retourner derrière le bar au Vestibule certains soirs et avoir plus de temps pour la gestion. Et pour organiser des événements.

 

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Randy Schaller adore créer de nouveaux cocktails et mise sur un accueil à taille humaine. Le nom «Holy Monkey» est un clin d’œil à la cathédrale de Lausanne qui se trouve à deux pas et aux bars de la Cité, dont plusieurs portent des noms d’animaux, comme le Lapin Vert (Photos: Nicolas Righetti

Où en est Le Vestibule aujourd’hui?
Le bar marche toujours bien, je suis très content! Il commence à être connu et la clientèle est fidèle. Nous avions ouvert trois semaines avant l’arrivée du Covid-19, en février 2020. Cela fait quatre années d’activité, dont la moitié a été marquée par la pandémie, donc il est difficile de dresser un bilan précis. Mais nous avons survécu à la tempête, ce qui est déjà super. Il faut dire que nous avons énormément travaillé pour que ça fonctionne! Nous sommes restés critiques envers nous-mêmes et avons toujours cherché à faire mieux. Quand on est dans cette optique, en général, cela porte ses fruits. En plus de se remettre en question, il s’agit aussi d’écouter les critiques et d’agir, pas simplement de reporter les choses au lendemain.

Quels sont les points communs entre vos deux bars, Le Vestibule et Holy Monkey?
L’accueil à taille humaine. C’est-à-dire ne pas chercher uniquement à faire du débit, mais se donner de la peine, faire plaisir aux clients en leur offrant le meilleur accueil possible. Autant au niveau du service que de la qualité des cocktails et du décor. Ce qui est compromis si l’établissement est trop grand. Donc notre petite taille est un atout!

Tous les coûts sont en hausse, le pouvoir d’achat des consommateurs est en baisse et la pénurie de personnel qualifié continue de sévir: les professionnels de la branche doivent faire face à de nombreux défis et pas des moindres. C’est aussi votre cas?
Nous ne sommes pas concernés par la pénurie de personnel, étant donné que nous avons des bars à taille humaine et que nous n’avons pas d’horaires coupés. Pour l’instant, je reçois beaucoup de candidatures quand je publie une annonce. Quant à la hausse des coûts, il est capital de bien faire ses calculs. J’ai des fiches produits et je connais les marges. Le grand avantage, avec Holy Monkey, c’est que j’avais l’expérience de l’ouverture du Vestibule. Les prix affichés sont déjà calculés de telle sorte que je n’ai pas dû les changer cette année.

Alors quel est votre plus grand souci?
Que les gens continuent de sortir! Qu’ils continuent à se faire plaisir, malgré la crise économique. Le pouvoir d’achat des consommateurs est clairement l’aspect qui me préoccupe le plus. Le cocktail a un prix, c’est sûr, mais je me dis il n’y a pas beaucoup d’endroits dans la région où on peut profiter d’une telle offre et d’une telle ambiance. Comme nos établissements sont des bars de niche, j’ose espérer que nous serons épargnés par ce problème.

Vous misez donc sur un bon rapport qualité-prix et un concept original.
Le prix de nos pizzas va de 16 à 24 francs. Donc au Holy Monkey, on peut manger et boire des verres pour 50 à 60 francs, ce qui revient moins cher qu’au resto. J’ai lu que les restaurants gastronomiques ont du mal à tourner en ce moment et je pense que c’est parce que c’est trop cher.

Durant la pandémie, vous avez lancé Elixir de Joie, des cocktails à commander en ligne et livrés à domicile, dans toute la Suisse. Ce service fonctionne-t-il encore aujourd’hui?
Oui, la seule différence étant que nous sommes passés des fioles de style apothicaire à des canettes en alu. Ce business est stable. Le défi, c’est d’avoir plus de temps pour relancer le projet: depuis la réouverture des établissements publics, mes associés et moi n’avons plus fait de promotion pour Elixir de Joie.

En 2023, vous avez participé au concours Swiss Cocktail Open et avez terminé 2e. Cet excellent résultat vous encourage-t-il à vous inscrire à d’autres concours de mixologie?
Oui, il y a deux concours auxquels j’aimerais participer cette année: le World Class, une compétition internationale qui aura lieu entre février et mars, et à nouveau le Swiss Cocktail Open, qui aura lieu à Zurich en avril. Les concours nous poussent à trouver de nouvelles idées, cela stimule la créativité. Mais je ne participerai que si je peux libérer du temps pour me préparer. 

En termes de mixologie, quelles sont les tendances actuelles?
Certains clients se dirigeront toujours vers quelque chose de connu et d’autres voudront être surpris. Comme dans un restaurant, je pense que c’est bien d’avoir une partie de la carte qui ne change pas, d’avoir des cocktails signatures ou des classiques, mais de proposer aussi régulièrement des nouveautés. Nous essayons de changer une partie de la carte tous les six mois, avec des créations maison. Car notre passion, pour nous barmen, c’est de créer!

Concrètement, quels sont les cocktails que vous avez créés et qui se vendent bien?
Le «Poire à feu» est un cocktail fumé et épicé, à base de Tequila Espolon reposado infusée à la cannelle et au piment, de Whisky Talisker, de sirop de poire, de citron et d’aquafaba. Un autre cocktail qui se vend bien durant l’hiver est le «Chaï de Mamie», qui se boit chaud, dans une tasse. Il est à base de Rhum Pampero, de liqueur de noisette, de chaï maison, de chantilly et de cacao.

Le mois de janvier a été marqué par le Dry January, de plus en plus médiatisé. Cette mode vous porte-t-elle préjudice?
Disons que janvier n’a jamais été notre meilleur mois, car après les fêtes, les gens sont moins dépensiers et n’ont pas tellement envie de boire de l’alcool. En plus, il fait froid et gris, ce qui ne donne pas envie de sortir. Ce n’est donc pas vraiment le Dry January qui nous cause du tort. Comme la fréquentation n’est pas dingue en début d’année, nous avons pris des vacances les deux premières semaines de janvier. En revanche, février est généralement un bon mois: les clients veulent alors se faire plaisir.

Quels seront vos principaux objectifs en 2024?
Il s’agit avant tout de lancer le Holy Monkey et de maintenir la stabilité atteinte avec Le Vestibule. Sur un plan personnel, j’aimerais réussir à trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Par exemple, si j’arrive à baisser mon taux de travail à 120%, je serais déjà content (il rit)! Je dois apprendre à faire confiance, à déléguer, à lâcher le bébé.

 

★ Un patron actif et créatif

Randy Schaller a étudié à HEC Lausanne et son master en management s’avère très utile depuis qu’il est à la tête de trois sociétés. Il a fondé le bar Le Vestibule en 2020 avec ses deux amis et associés, Olivier Sutter et Andrés Lizano. Pour faire face à la crise du Covid-19, il a imaginé livrer des cocktails à domicile sous le nom d’Elixir de Joie, toujours en activité aujourd’hui. Puis, en octobre dernier, il a ouvert le bar Holy Monkey, dont il est le seul à la tête. Précédemment habitant de Vevey, Randy Schaller a déménagé à Lausanne le 1er février, afin de se rapprocher de ses deux établissements.

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La particularité des cocktails tiki réside aussi dans leur contenant, de style tropical hawaïen, en verre ou en céramique.